Un mois, une nouvelle : le 1er octobre 1968, le corps de Stefan Markovic est retrouvé. Une affaire scabreuse débute où Alain Delon, François Marcantoni et Georges Pompidou se rencontrent.
Début juillet 1968, alors qu’il vient de réprimer un soulèvement étudiant, mettre fin à une grève générale et remporter au passage les élections législatives, Georges Pompidou, le fidèle et dévoué Premier ministre du général de Gaulle, l’apprend au cours de la conversation. avec son ami Pierre Lazareff, directeur de France-Soir, que le chef de l’Etat a décidé de le remplacer à Matignon par Maurice Couve de Murville. Perturbé, limogé le 10 juillet, Pompidou affiche désormais ses ambitions élyséennes, osant ainsi montrer que le gouvernement présidentiel général n’est pas éternel. Pour certains, c’est impardonnable, un crime contre le gaullisme…
Le mardi 1er octobre 1968, un chiffonnier en maraude dans une décharge sauvage au lieu-dit La Cavée-du-Roi, près d’Élancourt, dans les Yvelines, trouve, dans un sac plastique, le corps d’un homme enveloppé de toile. .de jute. Le corps a été rapidement identifié : ses empreintes digitales le lui ont dit. Il est dans le dossier, plusieurs fois condamné et incarcéré pour « vol, violence et violation de la législation sur les étrangers ».
Stefan Markovic, « Citoyen yougoslave, né à Belgrade le 18 mai 1937, est réfugié politique en France depuis 1958 ». Le Sdece, l’ancêtre de la DGSE, le soupçonnait d’être un agent dormant plus ou moins des services secrets du maréchal Tito. Une enquête de routine (proches, voisinage) a révélé que le 22 septembre, vers 19 heures, il est monté dans un taxi où quelqu’un l’attendait. Depuis, personne ne l’a revu. Le conducteur a été retrouvé. Il s’en souvient bien : vers 18h30, un homme d’une cinquantaine d’années l’a appelé rue Lafayette. Ils sont partis à la recherche de la victime, avenue de Messine, derrière le parc Monceau. A 19h30, il dépose ses clients à l’angle de l’avenue de la Grande-Armée et de la rue de Presbourg.
Une autopsie a révélé plusieurs coups à la tête avec « des objets contondants, gros et lourds », plusieurs blessures et des contusions au visage. Markovic a fini par sortir avec une balle de 6,35 mm tirée dans la nuque. Son décès remonte à la nuit du 22 au 23 septembre. Ça sent le règlement de compte…
D’autant plus que le CV « Yougo beautiful » est éloquent. Guérir c’est sûr, mais en quelques années, Stefan Markovic sait tisser un réseau de relations inestimables dans le monde de la politique, du spectacle, de la chanson. On parle d’actrices, d’anciens ministres, de députés. Depuis 1966, il est « derrière » Alain Delon. Chauffeur, sosie léger, majordome, concierge… Il habite aussi l’hôtel particulier de la star, 22, avenue de Messine.
Le 5 octobre, Alexander Markovic, le frère de la victime, capitaine dans la marine yougoslave, se présente à la police judiciaire. Il remit au commissaire Jean Samson, chargé de l’enquête, les trois lettres que Stefan venait de lui envoyer. La dernière, datée du 22 septembre, rédigée en serbe, stipule : « Quoi qu’il arrive et tous les ennuis que cela peut me causer, veuillez contacter Alain Delon, sa femme et compagne, « Marc-Antony », corse, vrai gangster. », résidant dans le 42 Il s’agit en fait de François Marcantoni, 49 ans, domicilié au 42, bd Gouvion-Saint-Cyr, ancien résistant tombé dans le crime organisé, intime avec Delons. Le trio a été interrogé mais laissé libre.
Le 10 octobre, le service pénitentiaire de la prison de Fresnes a intercepté une lettre adressée au juge Patard, le certain Boriboj Akov, incarcéré pour « vol, recel et détention d’armes », venait d’être transmis à Alain Delon lui parlant de Markovic. Interrogé le 30 octobre par la police, Akov a déclaré que Stefan recrutait des jeunes femmes pour des « fêtes » impliquant des stars, la pègre et des politiciens. Il organise également des « face parties » pour les femmes de grande classe. Au cours de cette rencontre, Markovic a pris des photos incriminantes qu’il a ensuite payées au prix fort.
Les clichés vont commencer à circuler sous le manteau, les commérages enflent, on verra des personnalités de la politique, des médias, du spectacle, se livrer à des orgies. Au même moment, à Paris, à Sdece, à la base « Bison », l’agent « Karamel » rapporte que « des photos compromettantes prises lors d’une soirée libertine à laquelle Markovic a participé risquent d’être mises en circulation ». Dans l’une d’elles, raconte Karamel, « on reconnaît l’épouse de l’ancien Premier ministre ». Un sinistre! Nous devons dire au sommet du pays. Lorsque cette « information », habituellement « secret-défense », a été annoncée début novembre, Pompidou est resté en haut. Dans ses Mémoires, il écrira : « J’étais en colère. Alors Couve n’a même pas eu le courage de me prévenir. Donc ces hommes, dont certains connaissent bien ma maisonnée, ont plus ou moins cru à la véracité des faits depuis qu’ils pensait que l’enquête pouvait se poursuivre dans cette direction. Alors le général lui-même, qui connaît ma femme depuis longtemps, n’a pas hésité à se brosser les dents.
Alors que de sinistres rumeurs grandissent dans le Tout-Paris, les enquêteurs apprennent qu’Alain Delon a été séparé de son « dos » peu avant sa disparition. Raison ? Une « aventure » furtive entre Markovic et sa femme, Nathalie. Ils ont également découvert qu’Alain et François Marcantoni sont comme un âne et une chemise. Et le bandit avait sa place à Goussainville, à une trentaine de kilomètres d’Élancourt. Le 16 janvier 1969, le juge Patard lance un mandat d’arrêt contre Marcantoni. Le 22 janvier, Alain Delon a été placé en garde à vue. Il était sorti gratuitement, 35 heures plus tard. En revanche, sa copine est restée dans le trou. Une perquisition au domicile de Goussainville a conduit à la saisie de divers documents, dont une carte de visite au nom de « Marc Anthony », comme l’a mentionné Markovic, moins le « h », dans une lettre adressée à son frère. Surtout, des sommiers et des matelas sont disponibles. Les enquêteurs ont déterminé que le plastique et la toile de jute enveloppant le corps étaient des emballages pour des matelas et des sommiers à ressorts de marque Treca, qui étaient vendus depuis moins d’un an. Pourtant, le 14 juin 1968, Marcantoni se fait livrer un lit Treca, le modèle « Grand Impérial », enveloppé de plastique et de jute. Le coursier se souvient même avoir dû faire deux coupes « au couteau, dans de la toile de jute, pour tenir le manche ». Comme dans le linceul de Markovic…
Le 15 juin 1969, Georges Pompidou est élu président de la République. Il sera vite établi qu’Akov, un petit informateur véreux, a été manipulé par son agent de manutention, que les deux soi-disant clichés de Madame Pompidou en réalité, pour l’un, un montage – le visage de Claude a été collé sur un corps nu. une actrice porno suédoise – et pour une autre, une vague prostituée, recrutée pour un shooting torride.
Le 4 décembre 1969, Marcantoni est libéré sous caution de 60 000 francs. Le 29 août 1975, le juge Ferré, successeur de Patard, demande un renvoi devant la cour d’assises des Yvelines. Le 12 janvier 1976, la chambre d’accusation renverse la décision du juge et rend un verdict de non-lieu pour François Marcantoni. Décédé en 2010, le vieux gangster a un jour avoué : « Il n’y a que trois personnes qui connaissent la vérité, Delon, moi et Dieu, mais aujourd’hui ce dernier n’hésite jamais. » christophe d’argoulais