Après une baisse liée au Covid, le taux d’occupation des prisons est revenu à un pic ces derniers mois. Pour Dominique Simonnot, directeur général des lieux de privation de liberté depuis 2020 et auteur de Coups de barre. Justice et injustice en France (Seuil, 2019), l’enfermement est tout entier issu de nos expériences communes, ce qui explique en grande partie ses dérives. Dans cet entretien, il commente de manière alarmante les conditions de détention actuelles.
La surpopulation carcérale augmente. Certes, à quoi ressemble une prison dans un pays où le taux moyen de remplissage des maisons d’arrêt est de 139 % ?
Dominique Simonnot : A Gradignan, en Gironde, d’où je suis originaire, c’était 235 %. Vous entrez dans une propriété détériorée, sale et remplie de coléoptères. Les prisonniers y vivent comme des poulets de batterie. Dans la cellule, entre les lits, les cabas rembourrés, les étagères rembourrées, le frigo, la tablette accrochée au mur, un matelas supplémentaire placé au milieu, 0,80 m² de dos par personne. Ils ne peuvent en tenir que trois étroitement ensemble. Lorsque deux se lèvent, l’un est obligé de s’installer dans la couchette du haut ou du bas. Pour ne pas s’endormir et avoir des bestioles qui lui rentrent dans le nez, le troisième enfant doit, la nuit, placer son matelas en hauteur, en équilibre sur le frigo, la table et l’étagère. Et de cet enfer, les prisonniers ne peuvent presque jamais sortir. Ils n’ont pas accès au travail – seuls 20% des détenus travaillent dans cette prison. Ce n’est qu’une heure de marche par jour. Les 23 heures restantes sont dans cette cellule.
« A Gradignan, c’est une des premières fois que j’entends des détenus dire à propos des gardiens ‘ils sont débordés, ce n’est pas de leur faute' »
Dans l’esprit de l’établissement pénitentiaire, cependant, il y a cette notion que la détention d’une personne peut transformer l’individu par la punition et l’isolement.
Là c’est impossible. Tout le monde est au bord du gouffre et vous n’êtes jamais seul. Les bagarres entre prisonniers sont telles que certains ne prennent même pas leurs heures à marcher et restent enfermés tout le temps. Les gardes sont en colère. A Gradignan, c’était l’une des premières fois que j’entendais des détenus dire des gardiens « ils sont débordés, ce n’est pas de leur faute ». Il y a aussi beaucoup de suicides. A Gradignan, c’était mi-mai. Et quand nous sommes arrivés, les prisonniers ont mis le feu à leur cellule. L’un est mort et l’autre est dans le coma, très ivre. Les prisonniers entendent parler de la mort tout le temps, s’isolent, se pendent. J’ai récemment reçu une lettre d’un prisonnier. Il me raconte qu’il se réveille à minuit pour aller aux toilettes et qu’il trouve son co-détenu pendu. Il frappe à la porte, il crie. Evidemment, faute de personnel pénitentiaire, le gardien met du temps à arriver et n’a pas les clés : c’est destiné à éviter les intrusions dans la cellule la nuit. Finalement, le surveillant lui a dit : « Lève-le, pends-le ! mais l’autre ne peut pas. Il explose, il a peur. Peur qu’il ne parte jamais, il est comme beaucoup d’autres : retrouver son codétenu mort un matin.
De nombreux magistrats considèrent la prison comme une juste punition, qui ne devrait pas être un lieu agréable.
Oui, mais il n’est pas écrit non plus que les prisonniers soient punis dans leur chair, que vous viviez à trois dans une cellule, entourés de punaises et de rats. Beaucoup de prisonniers sont malades parce qu’ils ne sont pas non plus soignés. Lorsque vous avez une surpopulation, vous ne pouvez pas effectuer toutes les abstractions médicales. Il faut donc choisir entre l’échographie de la femme enceinte ou la recherche d’un tel cancer. 210% des personnes résident à la maison d’arrêt de Tours. Eh bien, trois cancers ont été découverts tardivement et un jeune homme en est décédé. Je pense que les prisonniers étaient vraiment gentils de retourner dans leurs cellules après la promenade. Je trouve qu’ils protestent peu sur leurs conditions de vie.
« Nos homologues allemands nous regardent comme si nous étions des monstres » Dominique Simonnot
Pourquoi ne pouvons-nous pas développer des alternatives à la prison ?
Je n’aime pas cette phrase parce qu’elle implique que l’emprisonnement doit rester la peine principale. Je pense qu’ensemble nous sommes coincés dans une politique punitive qui ne fonctionne pas, qui coûte cher et nous n’y sommes pour rien. C’est déraisonnable. Je viens d’Allemagne et les peines dites alternatives y sont beaucoup plus développées. Lorsqu’une prison atteint un taux d’occupation de 90 %, elle déclare qu’elle est saturée. Donc plus personne n’y va, sinon on est en liberté contrôlée. Ils respectent la cellule individuelle et s’il y en a deux, c’est que les détenus l’ont choisie et ont donc accès à une cellule plus grande, de 10 m². 70% des détenus travaillent – contre 28% chez nous. Le premier article de la constitution allemande est de respecter et de protéger la dignité humaine de toutes les autorités publiques. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose ? J’ai montré des photos de nos missions à mes homologues allemands. Ils nous regardaient comme des monstres. Des peines autres que l’emprisonnement existent en droit français et sont également très restrictives. On l’a vu avec Patrick Balkany. Si vous ne respectez pas les limites, vous retournez en prison !
En dehors de la surveillance électronique, que pourrait-on développer ?
Un lieu extérieur, par exemple, qui doit être utilisé moins de mille fois par an en France. Ce n’est rien du tout. Cette peine permet de sortir de l’établissement pénitentiaire pour exercer une activité professionnelle ou suivre une formation. J’ai eu l’occasion de visiter la ferme Emaus à Baudonne, près de Bayonne, où les femmes sont placées à l’extérieur. Ils font du maraîchage dans la journée, la récolte, la cuisine, et ils vendent leurs produits deux fois par semaine sur les marchés. Le soir, ils dorment à la ferme. Et ça c’est grave : s’ils s’enfuient, c’est considéré comme une évasion ! Actuellement, il y a des places libres dans cette ferme alors que la maison d’arrêt pour femmes d’à côté est débordée. Le directeur de la ferme a écrit aux directeurs de la prison, au procureur. Pas de réponse. C’est incompréhensible. Il existe également des centres de semi-liberté, qui permettent aux détenus de travailler pendant la journée et de dormir dans la prison. Bref, les détenus pourraient trouver un emploi, s’intégrer dans la société plutôt que de rester enfermés sans pouvoir rien faire dans des conditions effroyables pour un coût de 110 € par jour et par détenu. De plus, on sait très bien que les détenus qui les accompagnent dans l’exécution de leur peine (notamment par l’exercice d’une activité professionnelle) récidivent beaucoup moins que lorsqu’ils sortent de prison en « sortie sèche ».
« Tout humain qui passe six mois en maison d’arrêt en ressort détruit ou sauvage » Dominique Simonnot
Or, la France a connu une forte baisse de sa population carcérale pendant la pandémie. En juin 2020, nous calculions que 13 000 prisonniers sur plus de 70 000 avaient été libérés, ce qui n’a pas semé le chaos dans le pays. Pourquoi aucune leçon n’a-t-elle été tirée de ce chapitre ?
Cela a été le seul avantage de la pandémie. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas continué? Ce n’était pourtant pas une révolution… Les ordonnances de libération anticipée permettaient aux détenus d’être libérés deux semaines avant la fin de leur peine, soit un maximum de deux mois. Ils ont également été libérés sous le contrôle du juge de l’application des peines et du service pénitentiaire d’insertion et de probation. J’ai écrit au garde des sceaux et au président de la République. Et je leur écrirai à nouveau. Tout humain qui passe six mois en prison en ressort détruit ou sauvage, pire qu’avant. Tout ce qui pourrait créer davantage de liens entre les détenus et la société est systématiquement rejeté, alors que la réinsertion est l’une des missions sur lesquelles repose la légitimité de l’établissement pénitentiaire. Les prisonniers sont souvent extrêmement précaires, ont une vie d’indignation dès la naissance, sont dans le meilleur intérêt des enfants et, de plus, sont en danger dans des endroits sombres. Comment peuvent-ils s’échapper avec ?
« Trois d’entre eux s’empilent dans 3 m² si l’on compte le bazar, les lits et l’espace sanitaire » Dominique Simonnot
Que pensez-vous du grand plan prison du président Macron et de ses 15 000 places de prison ?
Elle contribue à ce même processus d’exclusion totale des détenus. De grands centres pénitentiaires se construisent loin des villes, dans le no man’s land. Quand je vais en visiter une, je me force à m’y rendre en transport en commun depuis la gare ou la gare routière. C’est généralement très ennuyeux et prend du temps. Vous arrivez sur des lignes où vous avez une navette toutes les heures. Cependant, pour les familles, si elles arrivent en retard au parloir, elles seront refoulées. Pour les détenus qui souhaiteraient travailler dans une entreprise dans des centres de semi-liberté rattachés à des centres pénitentiaires, se rendre au travail à l’heure chaque jour est très compliqué. Enfin, ces nouveaux bâtiments sont une excuse pour ne rien changer à l’existant. Le ministre de la Justice a fait grand cas de la nouvelle prison de Lutterbach. Savez-vous quand ce projet a été annoncé ? En 2009, par Michèle Alliot-Marie. Alors le gouvernement annonce, et en attendant, rien ne change. L’équipe du régulateur s’est rendue à Gradignan en 2009 et 2018. Tout s’était aggravé mais le ministère a répété qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, qu’un nouvel organisme ouvrirait prochainement à côté. Il ouvrira partiellement en 2025 et entièrement ouvert en 2027 ! Il faut arrêter tout cela, il faut mettre en place un règlement carcéral : s’il reste un détenu, un autre sort, celui le plus proche de la fin de sa peine. Je vais encore me battre pour ça.
« Je trouve les détenus très gentils de regagner leurs cellules après la promenade » Dominique Simonnot
Vous aviez déjà une longue expérience du monde carcéral en tant qu’assistante sociale pénitentiaire puis en tant que journaliste. En quoi l’expérience du directeur général a-t-elle changé votre regard sur la prison ?
J’en savais déjà beaucoup mais rien ne remplace l’expérience. Par exemple, j’ai écrit dans mes articles « ils s’empilent trois dans 9 m² ». Mais c’est faux! Ils se serrent à 3 m² si l’on compte le désordre, les lits et l’espace sanitaire. Savoir que les cellules sont pleines de punaises de lit et les voir n’est pas la même chose. Je repars souvent accablé et en colère. Comment pouvons-nous laisser cela se produire ? Les prisons deviennent complètement invisibles, loin des villes, de nos yeux, de nos consciences. De nos institutions politiques aussi : les magistrats n’y vont plus, les députés non plus. Nous avons en permanence dessiné le milieu carcéral autour de nos expériences communes.
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