Camille Étienne : « Les lois existantes perpétuent l’autodestruction de l’humanité »

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Written By Jane Legaet

Rédactrice spécialisée dans le sommeil et la literie depuis 2012

Selon les calculs du Global Footprint Network, ce jeudi 28 juillet est le « jour de la traversée », la date à laquelle l’humanité a épuisé toutes les ressources que la Terre a à offrir cette année. Nous vivons à crédit aujourd’hui et jusqu’à la fin de l’année. Mesurée annuellement par une ONG, cette journée progresse d’année en année. Si le monde entier avait vécu comme la France, le surplus aurait été atteint en mai dernier.

En cette journée mondiale de l’environnement et de la conservation de la nature, nous consommons ce qui reste des réserves d’eau, des forêts, des puits de carbone, des sols et des écosystèmes naturels. « Cette année, nous utiliserons l’équivalent de 1,75 fois ce que la Terre produit naturellement. »

National Geographic s’est entretenu avec Camille Étienne, une militante écologiste de 24 ans, pour comprendre comment réinventer des histoires pour enfin inspirer l’action.

Désobéir pour se faire entendre, interrompre les assemblées générales pour ouvrir un débat… c’est la forme de lutte choisie par Camille Étienne, connue sur les réseaux sociaux sous le nom de @Graine_de_possible, pour inspirer le plus grand nombre à s’engager dans la protection de l’environnement et de la biodiversité. Militante pour la justice sociale et climatique, auteur de courts métrages pour son collectif @avant_lorage, son objectif est de sensibiliser.

Dans un court métrage sorti en 2021, vous dites : « On entend dire que 2050 est un film catastrophe, mais cette fois les scénaristes sont en blouse blanche et qui veut être le spectateur alors que le « happy end » pourrait être entre nos mains ». ? « . Pour pouvoir espérer ce fameux « happy end », vous avez choisi la voie de la désobéissance civile.

Absolument. Je fais toujours attention à ne pas privilégier l’action collective. Je ne dis pas que j’ai une solution plus importante que les autres, je sais juste qu’il faut tout essayer et vite. Avec ambition et sans compromis.

Il y a un scientifique de la NASA que j’aime beaucoup, Peter Kalmus, qui s’occupe des questions climatiques depuis plus de dix-sept ans, on lui doit des recherches sérieuses. Il est membre du collectif scientifique, Scientist Rebellion. En particulier, ils se sont accrochés aux banques de New York. La désobéissance civile est aussi un outil de communication. Il existe de nombreuses façons de procéder. Le but est de dire : nous vous dérangerons jusqu’à ce que vous lisiez et entendiez notre message.

Je pratique une forme de désobéissance civile, comme le blocage de l’assemblée générale de TotalEnergies. Car il est impératif que nous venions leur dire que les décisions qu’ils prennent entre quelques riches actionnaires affectent le reste de l’humanité et qu’il n’est pas normal que cela se fasse dans des espaces confinés. Un système médiatique sursaturé, souvent sacrifié pendant de longues périodes au profit de formats forts, est un moyen d’attirer l’attention. Ramasser une carte rouge qui dit « Je suis là! » « ; » Je me tiens au milieu du terrain, donc vous pouvez me voir, maintenant écoutez-moi !  » « est utile.

Je pense qu’il y a aussi quelque chose de beau à se dire que lorsque les lois ne sont pas justes, alors on désobéit. Faites la distinction entre ce qui est légal et ce qui est juste. Ce qui n’est pas exactement pareil. Là-bas, les lois en vigueur favorisent l’autodestruction de l’humanité. Par exemple, le traité sur la charte de l’énergie permet aux entreprises multinationales de porter plainte directement contre les États pour la mise en œuvre de mesures climatiques. Il existe des milliers de lois de ce type. Certains droits sont protégés par le statu quo, les dirigeants et les lobbies. Puisque les lois sont injustes, nous devons désobéir.

Pendant longtemps, le déni du changement climatique a pu s’expliquer par le décalage entre les prévisions scientifiques à long terme et la réalité plutôt lente du changement climatique. Mais les choses s’accélèrent ces dernières années. Comment pouvons-nous continuer à être climato-sceptiques ?

Le climato-sceptique paralyse l’action, provoquant le doute. Cela peut être fait de manière très évidente en disant que ce n’est pas la faute de l’homme. Aujourd’hui on commence à revenir un peu, mais pas tout à fait non plus. Je me suis déjà retrouvé face à face avec des personnes encore sceptiques sur les enjeux climatiques sur les grands plateaux TV français.

De plus, il existe plusieurs formes de scepticisme climatique. Leur but est de dire que la technologie sauvera le monde. Soit dire qu’on a le temps, qu’on peut trouver des solutions, soit que ce n’est pas si grave. Leur stratégie est de trouver les meilleures histoires qui mènent à la neutralisation de l’action climatique. Ils ne le sont pas seulement parce qu’ils sont cartésiens. C’est aussi et surtout une stratégie politique pour s’en tenir au statu quo. Qui finance et sème le doute ? Préoccupations pétrolières. Aux États-Unis, en France, on le sait, Total le sait depuis les années 1970. Ces histoires, on les entend, disent que les nouvelles technologies sauveront le monde, qu’on pourra garder le carbone dans le sol, qu’il créera un avion vert et volera sans problème sans aucun problème en passant par la sobriété. L’objectif est de neutraliser l’action climatique qui ne convient pas aux compagnies pétrolières. Ils ne sont pas intéressés à produire moins, alors ils trouvent des arguments pour justifier le maintien de leur entreprise.

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Les paroles des scientifiques sont-elles devenues un bruit de fond que nous entendons sans y prêter attention ? La pandémie de COVID-19 a permis une réévaluation des déclarations scientifiques dans les médias grand public. Pourquoi pensez-vous qu’il est si difficile pour nous de penser de la même manière lorsque nous parlons d’environnement ?

Pendant la période Covid-19, le débat s’est centré autour de la parole scientifique. Nous voulions donner une responsabilité politique aux scientifiques. J’ai l’impression qu’on entend trop peu parler des sciences sociales.

À mon avis, la vague scientifique commence à émerger. Mais comment faites-vous pour laisser place au débat sociologique ? Il est important d’entendre qu’il existe des limites planétaires à ne pas dépasser, il reste encore de nombreux faits scientifiques à vérifier. Maintenant, la prochaine étape est de savoir exactement ce que nous faisons pour agir. Que décidons-nous de faire et comment ? C’est ce débat qui permet de lier les enjeux sociaux et climatiques, qui permet de le politiser. Cela ne veut pas dire que les glaciers fondent, que les animaux disparaissent, et c’est pourquoi il faut arrêter la chasse et trouver des solutions qui feront baisser les températures de quelques degrés. Maintenant la question est plutôt, quelles sont les sources d’énergie ? Comment faire ? Qui en décide pour nous ? Qui finance ? Toutes ces questions sont encore trop peu entendues et sonnent comme un bruit de fond.

Le débat a-t-il parfois fait défaut dans l’espace démocratique ? Il faut réussir à laisser un espace pour que les gens se saisissent de ces questions et ne pas s’en priver alors qu’elles les concernent essentiellement. L’écoute de la parole scientifique est essentielle, mais il ne faut pas oublier le débat. Il ne faut pas oublier qu’il va falloir se retrousser les manches. Un très bon exemple est la convention sur le climat social.

Vous choisissez plusieurs voies pour que les messages que vous transmettez à l’environnement soient entendus. Courts métrages, vidéos d’information sur YouTube, publications sur les réseaux sociaux, activités dans les conseils d’administration et les actionnaires. Est-ce votre façon de réinventer des histoires pour susciter l’engagement ?

Je ne ferais pas semblant d’avoir réinventé une histoire parce que je pense qu’on n’invente jamais vraiment rien, on choisit partout et on l’assemble. L’histoire consiste à donner du sens à des événements diffus, c’est un besoin de notre cerveau pour donner du sens aux choses.

De la même manière, j’essaie de trouver la cohérence des événements. Nous faisons partie d’une histoire plus grande que nous-mêmes. Il existe des stratégies dans de nombreuses autres luttes passées que nous trouvons ici aujourd’hui.

C’est une branche où l’on se nourrit de notre histoire ou de l’histoire d’autres pays. On échange beaucoup avec d’autres pays pour comprendre ce qui marche, qui peut être adapté au contexte français. Il s’agit de trouver de nouvelles façons de le faire.

On dit qu’on a besoin de nouvelles histoires comme si ça ne marchait pas. Précisément parce que cela fonctionne, la société évolue, et nous devons donc en trouver une meilleure. Les marches pour le climat, plutôt que de voir cela comme un échec, consistent davantage à dire que c’est merveilleux, que cela ne suffit plus pour tant de gens et que nous devons faire plus. A cette époque, c’était encore considéré comme un acte aussi radical.

Cela a fonctionné pendant un certain temps, maintenant nous passons à autre chose et c’est génial. Il permet de mesurer la température de la société et de l’emmener plus loin. Nous changeons constamment. La démocratie est en mouvement et notre réponse démocratique à ce problème doit également être en mouvement.

À votre avis, le travail de la génération Z est d’empêcher le monde de s’effondrer. Voyez-vous l’évolution des mentalités et des habitudes face aux événements récents comme une conséquence directe du réchauffement climatique ?

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Albert Camus disait que chaque génération croit qu’elle est destinée à transformer le monde. Notre tâche est d’autant plus grande que nous devons empêcher notre monde de s’effondrer.

Je suis toujours très positif, mais honnêtement, chaque année en été, vous vous réveillez et vous oubliez. L’été dernier, nous avons vu la Belgique sombrer dans l’eau, ce qui lui a coûté 2,8 milliards d’euros de dégâts. L’Allemagne a enregistré près de 200 décès. L’été précédent, l’Australie était en feu et des images animées de koalas et de collectes de fonds sont apparues sur Instagram. Nous nous habituons à la terreur. On le voit aussi avec l’Ukraine. On ne peut plus s’endormir la nuit, ne sachant pas qu’il y a une guerre aux portes de notre pays, mais en même temps on plonge dans l’indifférence. Qui d’autre est affecté par ce qui se passe en Ukraine aujourd’hui ? Franchement pas grand monde. Je suis l’une des rares personnes, on s’habitue à l’horreur. Ça devient très dangereux ici.

Une connexion est nécessaire. Nous ne pouvons pas faire cela aujourd’hui. En cas de pandémie, nous n’avons pas créé de liens. Nous pensions entrer dans le fameux « monde d’après », mais nous n’étions pas liés au sol artificiel, à ce que Serge Morand appelle « l’ère pandémique ». Nous n’avons pas fait le lien avec la crise climatique, nous avons raté le coche.

La catastrophe consiste à rater l’occasion qui se cache derrière la crise, et un peu de ce que nous avons fait. La question est, comment pouvez-vous utiliser l’histoire pour vous améliorer en tant que société ? Qui changera ses habitudes en novembre en se souvenant des incendies de juillet ? Je pense que pas grand monde.

La couverture médiatique de la crise climatique ignore encore largement ce sujet, sans en souligner l’urgence. Comment unir et protéger la nature ?

Si j’avais une solution magique, ce serait génial, mais malheureusement je n’en ai pas. J’ai quelques réflexions à ce sujet, mais c’est la question que je me pose matin et soir.

Il y a mille tiroirs à ouvrir. J’aime ouvrir les tiroirs inutilisés. Réaliser que nous sommes immergés dans les structures de la société qui permettent l’inactivité du climat nous permet de nous en débarrasser. Le traitement du « mainstream » par les médias n’est pas du tout égal, pas assez évoqué ou d’une manière qui n’est pas assez saine. Nous le présentons comme une idéologie, parfois même une religion, plutôt que de le présenter comme un cadre de débat et de parler ensuite de la manière dont nous allons procéder. Il faut être conscient, sans entrer dans les théories du complot, qu’il y a des forces qui ont intérêt à maintenir ces modes de fonctionnement.

Tous les biais cognitifs de notre cerveau existent aussi. Par exemple, une attitude optimiste. Dans les études, on demande aux gens quelle est la probabilité de mourir en traversant la route ou d’être touché par un cancer très rare. Selon les sondages, la plupart des gens sous-estiment ces opportunités, imaginant que cela pourrait ne pas leur arriver. Cela montre un véritable optimisme, qui est un réflexe relativement sain dans notre cerveau. Cependant, cela sert le réchauffement climatique car personne n’imagine que cela puisse l’affecter personnellement.

Le discours selon lequel l’écologie est le sujet de la bourgeoisie ou de l’ulcère retarde énormément l’action. Chaque fois que ce message est diffusé à la société, il faut prendre le temps d’expliquer pourquoi ce n’est pas vrai. C’est le principe de la loi de Brandolini, ces arguments qui ne sont pas très utiles dans le camp de l’opposition car ils permettent de retarder l’action.

J’espère que nous pourrons faire autrement pour sauver le monde. Nous savons quoi faire, indique le dernier rapport du GIEC. Nous avons des solutions, nous avons les moyens d’y arriver, c’est juste une question de volonté politique.

Il faut se retrousser les manches et arrêter d’être des enfants. Il faut le faire. Nous avons un devoir moral, et au nom de ce devoir moral, nous devons nous mettre au travail. On n’a pas l’habitude, on est dans une société qui nous a un peu endormis, comme si on nous devait tout, comme si on était des rois d’enfants, en se disant qu’on a une vie qui doit en profiter et ne pas ne soyez pas trop poussé. Nous devons nous battre pour cela maintenant, ce qui est assez beau après tout.

Cette interview a été modifiée pour plus de longueur et de clarté.